Matérialismes Trans

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Première publication le 24/03/2022
Dernière modification le 24/03/2022
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Tags liés à cet article: technologie politique transidentité

Matérialismes Trans

Collectif

Ce bouquin fait beaucoup parler de lui dans les sphères trans que je fréquente à la marge. Ayant moi-même de nombreuses interrogations sur la perception qu’avaient les personnes trans sur elles-même, et toujours preneur de nouvelles perspectives sur les luttes auxquelles je crois, j’ai sauté à pieds joints. Cette fiche constitue donc “ce qu’un mec cis croit avoir compris de ce bouquin qui parle de matérialismes trans.”

Le bouquin se structure sous la forme de contributions de chercheuses et chercheurs, militants et les deux en même temps. D’où le pluriel dans le titre: définir “un” matérialisme semble compliqué au vu de la multitude de situations et de discours présentés dans l’ouvrage. Voici toutefois ce que ces matérialismes ont en commun

Des définitions du matérialisme “cis”

Initialement, le terme “matérialisme historique” est plutôt employé par l’orthodoxie Marxiste-Leniniste pour désigner que “les comportements sociaux s’expliquent par des conditions socio-historiques qui changent au gré d’affrontement de classes.” Assez rapidement est donc venu une “hiérarchisation” entre la lutte des classes, “essentielle”, et d’autres luttes (comme le féminisme) jugées “accessoires”. Vibe que j’ai croisé dans certains milieux militants un peu âgés.

En France, des personnes dont Christine Delphy se distancient de cette définiton au sein du mouvement de libération de la femme (années 70). Volonté de faire du féminisme une force politique autonome:

  • “Le genre précède le sexe”: on construit une hiérarchisation entre “femme” et “homme” qu’on justifie a posteriori par des différences biologiques (qui, si elles existent, sont interprétées comme fondamentales et justificatrices)
  • “Femmes” et “Hommes” sont considérées comme des classes au sens marxien, c’est à dire que la classe Homme repose sur le vol de la valeur du travail de la classe Femme (travail gratuit d’élevage des enfants); ce mode d’oppression patriarcal est séparé du mode d’oppression capitaliste
  • les “Femmes” sont donc un groupe social homogène, défini par la relation d’exploitation qu’il entretien avec le groupe social “membre de la classe Hommes”

Bases de matérialismes trans?

  • Considérer que les femmes trans s’incluent pleinement dans le cadre descriptif du féminisme matérialisme
  • Proposer un autre cadrage que les études queer
  • Étudier le fait social spécifique aux personnes trans: la “transition”, et voir comment elle se décline et éclaire d’autres faits sociaux. La transition c’est être “transfuge de genre”

Matérialismes trans comme pas de côté des études queer

Un truc qui revient très souvent dans les textes, c’est considérer l’angle mainstream des “études queer” sous un regard un peu critique. Comme je n’ai jamais lu de textes se rapportant à cette tradition (et que je ne suis pas concerné), je me garderais bien d’émettre un avis là dessus.

Ce que j’en comprends, les “études queer” voient la condition trans comme une question d’identité; existence des personnes trans vu comme une forme de “subversion” du genre. Il est question de se construire une existence comme “en dehors” du genre (binaire?). Est-ce que l’objectif final est d’avoir une multicolorité de genres? Est-ce que L’objectif est de détruire les catégories Hommes et Femmes? À creuser.

En tout cas, les textes du bouquin avancent que la construction autours de l’angle de l’identité n’arme pas assez, ou individualise trop la question trans. Le texte de Beaubatie a cette formule lapidaire: Changer de sexe ne permet jamais d’échapper au genre.. Que je comprends ainsi: “la construction d’identités individuelles ne soustrait pas aux oppressions existantes mises en place par le patriarcat.”

Multiplicité de transitions

La transition comme “transfuge de genre” est à mettre en parallèle avec les “transfuges de classe” qu’on peut trouver dans les travaux de sociologie, je suppose.

De ce point de vue là, “d’où on part” et “d’où on vient” sont des facteurs hyper importants.

Quelques points:

  • si la critique de la psychiatrisation est assez commune dans les études trans et les revendications militantes, il faut aussi considérer que la médicalisation de la condition trans aide les plus démunis à accéder à un suivi et à du soin. “La conformité est une stratégie d’accès aux soins”.
  • la médecine proposée aux trans se focalise beaucoup plus sur les MtF que sur les FtM: héritage de la perception du corps féminin comme “à parfaire”
  • FtMs transitionnent beaucoup plus jeunes, 50% des MtFs changent après une vie familiale en tant qu’homme
  • Les MtFs ont en moyenne plus de difficulté pour obtenir des papiers d’identité. Les FtMs sont plus soutenus par leur parents
  • Les FtMs ont beaucoup plus de mal à faire des compromis avec les normes de leur genre d’arrivée: en mobilité sociale ascendante, on est plus “surveillé” (y compris par soi-même?)

D’une nécessité de décentrage

Il est courant d’exhiber des situations de pas de côté dans le genre (“two-spirits”, “hijras”, “kathoeys”, “berdache”) extra-européennes pour alimenter la construction de la question trans en Occident. Ces exemples sont cools pour démontrer que la construction du genre est historique, mais il est dur de transposer le genre en Inde au genre en France. Considérer ces pas de côté comme comparables aux trans d’occident mérite réflexion: c’est pas les mêmes normes de genre qui génèrent ce genre de constructions, et c’est pas les mêmes relations avec ces structures de genre qui se construisent donc. Prendre garde à l’exotisme.

Focalisation sur beaucoup de personnes trans blanches. Quand on est un mec trans noir, on part pas du même stade qu’un mec trans blanc, dans la mesure où la violence médicale, la violence de rue, la violence du patriarcat s’appliquent de fait comme pour “tous les noirs” quand on est un homme trans.

Dans les milieux féministes “cis”, les femmes trans sont parfois mises de côté, à la limite comme “référentes trans” sans qu’on juge bon de prendre leur question sur d’autres éléments. Au mieux, on tente à être “inclusif”. Il s’agirait plus de considérer que les luttes féministes ne sont plus seulement centrées sur les femmes cis. Notion de Décentrage des luttes

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